Rives-Rhin La lutte antinucléaire, une histoire franco-allemande
Article mis en ligne le 9 février 2013
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Jean-Jacques Rettig, fondateur du CSFR (Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin), milite depuis 43 ans contre le nucléaire aux côtés des comités de citoyens badois

Née en 1970 en Alsace, la résistance aux centrales nucléaires est sans doute le plus transfrontalier des mouvements sociaux. Explications de Jean-Jacques Rettig, pilier de la lutte antinucléaire.

Seul le Rhin pourrait dire combien de voix ont clamé sur ses rives « Non au nucléaire, ni ici, ni ailleurs ». Des milliers, peut-être des millions. Parmi elles, celle de Jean-Jacques Rettig, qui a été de toutes les manifestations ou presque, depuis 43 ans.

Tout commence le 17 juillet 1970, quand il apprend par la presse le projet de construction de quatre réacteurs à Fessenheim. Depuis trois ans, il refuse, avec son épouse Inge, enseignante comme lui dans la vallée de la Bruche, les radioscopies des poumons obligatoires : « On prenait 5 rems à chaque radio, autant qu’il est permis à un travailleur du nucléaire pour un an. Cela n’inquiétait guère les médecins : nous leur apportions les publications allemandes et autrichiennes que nous avions traduites pour l’Association pour la protection des rayonnements ionisants, fondée par Jean Pignero. »

Pour les Rettig et trois familles amies, averties des risques de la radioactivité, même à faibles doses, il importe de faire connaître les risques des centrales nucléaires pour la santé, la génétique, l’environnement, sur le problème des déchets… C’est ainsi que naît le CSFR, Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, la plus ancienne association antinucléaire de France, peut-être d’Europe. Sa première marche contre la construction de Fessenheim, au printemps 1971, rassemble 1 500 personnes dont 150 Allemands. « Aussitôt, du côté badois, se constituent des Bürgerinitiativen, des comités d’initiatives citoyennes. Des contacts s’établissent de part et d’autre du Rhin. Avec aussi des Suisses opposés au projet de la centrale de Kaiseraugst. »

Deux ans plus tard, le plan Messmer de « mise en œuvre du tout nucléaire » annonce quelque 70 centrales en 20 ans, dont une bonne demi-douzaine en Alsace. Du côté allemand, il est prévu d’en construire une à Breisach : les vignerons du Kaiserstuhl s’y opposent en 1972. Le projet est abandonné, remplacé par celui de Wyhl, près de Marckolsheim.

Quand les engins de chantier arrivent, en février 1975, les antinucléaires, Badois et Alsaciens réunis, s’y opposent, occupant le site pendant huit mois. Négociations, expertises, procès : en avril 1977, le tribunal de Fribourg déclare irrecevable le projet de Wyhl. La même année, à quelques kilomètres au sud, deux réacteurs sont mis en service à Fessenheim. « Cette occupation de Wyhl a été un moment très fort : Allemands et Français ont redécouvert que nous étions frères, voisins, de culture identique, souligne Jean-Jacques Rettig. Des vignerons du Kaiserstuhl rappelaient que nos pères se tiraient dessus et affirmaient que si jamais cette folie devait ressurgir, ils refuseraient. »

De solides amitiés franco-allemandes se sont nouées à Wyhl, des couples se sont mariés. L’appel à l’amitié franco-allemande du général de Gaulle et d’Adenauer a pris une tournure inattendue : « Ce mouvement a mis en échec la construction de douze réacteurs le long du Rhin : Breisach, Wyhl, Gerstheim, Kaiseraugst, Fessenheim 3 et 4. Pour l’avenir de tous, Français, Allemands, Européens, ça vaut le coup. »

Pourquoi les Allemands, qui ont réussi à bloquer les projets sur leur rive, sont-ils presque toujours plus nombreux que les Français à manifester contre Fessenheim ? « La centrale est certes du côté français, mais ce n’est pas que la nôtre. En cas d’accident, les Allemands subiraient plus de conséquences que nous : les vents d’ouest sont dominants, rappelle Jean-Jacques Rettig. Et puis les Allemands se mettent plus facilement derrière un seul homme ou une idée, ils passent vite à l’action, sans discuter des heures. C’est un danger, mais aussi une force. »

Pour ce prof d’allemand retraité et militant non-violent qui assure le lien entre les associations antinucléaires de part et d’autre du Rhin, le fleuve n’est pas une frontière, pas plus qu’il ne l’a été pour le nuage de Tchernobyl. Éduqué à l’esprit critique par ses parents, qui avaient vécu les deux guerres mondiales, il plaide pour plus de démocratie : « En France, la classe politique est centraliste, refuse la participation des citoyens, applique la doctrine centrale et habitue les citoyens à zapper. Cela fait la force des lobbies. Jamais elle ne se demande si Tchernobyl ou Fukushima peut arriver en France. Elle est dans le déni total quand des millions de personnes souffrent de la contamination. Alors qu’en Allemagne, les Länder ont leur mot à dire sur l’implantation des centrales et la sécurité nucléaire. Après la guerre, les Allemands se sont remis en question et sont devenus plus démocrates. »

le 08/02/2013 Textes : Élisabeth Schulthess

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