C’était une affirmation de Mustafa Kemal, le militaire qui dirigea la Turquie de 1923 à sa mort, en 1938. La Turquie, après la guerre de 14-18 faite du côté allemand, demeura le dernier territoire ottoman de la Sublime Porte démantelée.
On ne s’étonnera donc pas qu’en Turquie le militarisme constitue une forme de culture dominante. Et c’est sur cet héritage ottoman que Mustafa Kemal Atatürk s’efforça de construire une patrie nouvelle, républicaine et laïque, largement inspirée des nations occidentales.
Ce mouvement historique nous est précisément décrit par Aurélie Stern dans un mémoire récent qui met au jour, paradoxalement, l’essor d’un antimilitarisme fortement diversifié ; et cela concomitamment avec la naissance de l’anarchisme dans ce pays.
On comprendra cependant que, dans cette société, la contestation du militarisme n’allait pas de soi.
C’est d’abord sur les bancs des écoles, et surtout dans les grandes classes, où les professeurs enseignaient en uniforme militaire, puis, plus tard, c’est dans les casernes que les Turcs se verront inculquer le nationalisme et le militarisme. Il s’agissait en effet de créer un citoyen turc tout acquis à ces valeurs. Si on ne naissait pas soldat, on le devenait ; l’école de son côté était déjà un embryon d’armée en civil ; et l’armée une seconde école qui se portait garante de la stabilité politique du pays.
Ajoutons, qu’au-delà de cette idéologie, une pratique machiste et patriarcale régnait − et règne toujours − dans ce pays en confortant ainsi toutes les attitudes militaristes avec pour conséquence de mettre les femmes sous tutelle.
Il est dit que « l’armée turque est plus vieille que la nation, elle est en dehors de l’Histoire, donc elle est naturelle et ne se discute pas, car remettre en cause l’armée ne signifie pas remettre en cause la nation et la citoyenneté, mais la culture turque dans son ensemble ».
On connaît le propos populaire qui dit qu’on ne devient un vrai homme qu’après avoir fait son service militaire.
La sociologue Pınar Selek, réfugiée en France, et analysant l’expérience de la caserne, arrive à la conclusion que l’homme, lors de son service militaire obligatoire, accepte de prendre momentanément un rôle féminin en effectuant des tâches ménagères auxquelles il n’est pas habitué ; c’est « en rampant » qu’il deviendra un homme.
En 1989, l’anarchiste turc d’origine balkanique Tayfun Gönül, mort en 2012, se déclare objecteur. Il est le premier, en Turquie, à prendre cette position ; événement à mettre en lien avec l’émergence de l’anarchisme et avec la création de la revue libertaire Kara (noir).
Ce premier mouvement anarchiste turc se différenciait de l’anarchisme occidental sur plusieurs points, nous dit l’auteure. Il n’était pas positiviste ni franchement hostile à la religion et donc ouvert au débat avec les musulmans pratiquants, utilisant d’ailleurs un vocabulaire plutôt respectueux envers l’islam et n’hésitant pas à se servir de notions et de termes coraniques. Enfin, il n’était ni rationaliste ni scientiste et montrait un caractère particulièrement spontané.
Le second objecteur de conscience en Turquie fut Vedat Zencir, qui déclarait en 1990 : « Cette vie est un droit primordial, et mes valeurs m’empêchent de tuer, d’avoir recours à la violence, de donner des ordres ou d’en recevoir. »
2007 voit l’incarcération du premier objecteur de conscience musulman : Enver Aydemir, né en 1977, qui défraya la chronique et ouvrit un espace nouveau au sein du mouvement antimilitariste turc. C’est à ce moment que des musulmans d’extrême gauche ou hérétiques à leur manière montrèrent à tous leur ouverture d’esprit et leur désir de collaboration.
C’est au sein, ou parallèlement au mouvement anarchiste, que le mouvement LGBT (lesbienne-gay-bisexuel-transexuel) a pu se développer dès 2004. C’est alors que certaines militantes se déclarèrent « objectrices de conscience ». Elles affirmaient que le militarisme − et donc l’antimilitarisme − les concernait tout autant que les hommes.
Parlerons-nous des objecteurs homosexuels ? Il faut savoir qu’ils étaient généralement réformés, qualifiés de « pommes pourries », après avoir subi nombre de sévices.
Pour finir, rappelons que c’est au cours d’un festival au nom de « militurizm » (mélange de militaire et de tourisme) qu’un participant s’exprima :
« Nous avons déclaré être non violents, mais nous n’avons pas dit que nous n’étions pas querelleurs. Si n’importe lequel d’entre nous se fait arrêter et mettre en garde à vue, si vous mettez des obstacles en travers de notre route, ou si vous nous violentez, nous utiliserons toutes sortes de méthodes non-violentes afin de faire éclater des scandales. »
Aurélie Stern : L´antimilitarisme en Turquie
Editions Atelier de création libertaire
Octobre 2015
– 264 pages
– prix de vente public : 16,00 EUR
– ISBN : 978-2-35104-088-